Texte final de la COP28 : comment l'ambition sur la sortie des énergies fossiles a reculé au fil des négociations
Sortie “juste et ordonnée”, “réduction”, “transition”… Pendant deux semaines, les négociateurs du monde entier ont débattu de formules autour des énergies fossiles pour le texte final de la COP28 de Dubaï. Ils se sont finalement entendus, mercredi 13 décembre. “Nous avons une formulation sur les énergies fossiles dans l’accord final, pour la première fois”, s’est félicité Sultan al-Jaber, président émirati de la COP28. Il a fallu près de 30 ans de COP pour “arriver au début de la fin des énergies fossiles”, a applaudi le commissaire européen au Climat, Wopke Hoekstra.
Toutefois, les mots choisis pour mettre tout le monde d’accord ont beaucoup évolué sous les pressions de certains pays pétroliers. Franceinfo s’est plongé dans les brouillons du texte et la version finale, depuis le début de la conférence sur le climat de Dubaï.
Un premier brouillon évoque une “sortie” des énergies fossiles
Daté du 1er décembre, un premier projet de texte (PDF), préparé par le Royaume-Uni et Singapour comme base des discussions, propose d’inscrire noir sur blanc la sortie des énergies fossiles dans le texte. “C’est plus ambitieux que tout ce qui a été mis sur la table durant la COP27, donc le fait même de l’avoir parmi les options est un grand pas en avant”, salue le 1er décembre Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Le document, dans son 20e paragraphe, propose quand même une alternative, avec un choix entre les termes “phaseout” ou “phasedown”, c’est-à-dire “sortir progressivement” et “réduire progressivement” l’exploitation et l’utilisation des énergies fossiles.
Un deuxième projet inclut l’option de ne pas évoquer la question
Le deuxième projet d’accord (PDF), publié mardi 5 décembre, mentionne toujours les énergies fossiles, un peu plus loin, au paragraphe 35. Le texte “appelle les parties à prendre des mesures supplémentaires au cours de cette décennie critique pour…”, commence-t-il, avant de présenter plusieurs options tous azimuts.
“Une sortie progressive, ordonnée et juste des combustibles fossiles”, d’abord. L’apparition de cette formulation préfigure un possible consensus autour d’un objectif commun, tout en laissant les pays organiser leur calendrier, selon leur degré de développement et de dépendance aux hydrocarbures. “Accélérer les efforts visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles sans dispositif d’atténuation [de capture et stockage de carbone] et à réduire rapidement leur utilisation afin d’atteindre zéro émission nette de CO2 dans les systèmes énergétiques d’ici ou vers le milieu du siècle”, propose l’option 2. Deux formulations en balance avec une nouvelle possibilité plus radicale : ne rien décider du tout sur les énergies fossiles, reflet de l’opposition de l’Arabie saoudite et de la Chine.
L’Organisation des pays exportateurs de pétrole ne cache pas sa préférence. Au lendemain de la publication du document, le secrétaire général de l’Opep, Haitham al-Ghais, demande “en urgence” à ses 23 pays membres ou associés, dont le pays hôte de la COP, de “rejeter proactivement” tout accord ciblant directement les énergies fossiles “plutôt que les émissions” de gaz à effet de serre. Dans une lettre, il dénonce ainsi une “pression excessive et disproportionnée exercée sur les combustibles fossiles” qui “pourrait atteindre un point de basculement aux conséquences irréversibles”.
“Les projecteurs sont braqués sur la présidence de la COP28”, pour voir “si elle négociera un accord pour une transition juste ou si elle se laissera influencer par l’Arabie saoudite et l’industrie pétrolière”, réagit de son côté Andreas Sieber de l’ONG 350.org auprès de l’AFP.
Une troisième version “plus longue, mais plus faible”
Les discussions en vue d’un accord continuent autour du sort du pétrole, du charbon et du gaz. La Chine se montre plutôt “constructive” quand plusieurs pays arabes, l’Arabie saoudite surtout, restent “très obstructionnistes”, selon des observateurs cités par l’AFP. Fruit de ces négociations, la troisième version du texte (PDF), publiée le 8 décembre, propose, elle aussi, plusieurs options, au paragraphe 36.
Les deux premières ajoutent à “une sortie progressive” des fossiles la nécessité d’une conformité “à la science”. La troisième s’intéresse à la “sortie progressive” des seules énergies fossiles non adossées à un dispositif de captation et de stockage, reconnaissant ensuite “la nécessité d’un pic dans leur consommation au cours de cette décennie et soulignant l’importance du fait que le secteur énergétique devrait être majoritairement exempt de combustibles fossiles bien avant 2050”.
La quatrième option privilégie aussi une “sortie progressive” des énergies fossiles non adossées à un dispositif de captation et de stockage, dans le but d’atteindre la “neutralité d’émissions de CO2” autour de 2050, laissant là encore la possibilité de consommer et d’exploiter davantage de pétrole ou de gaz tout en s’appuyant sur la promesse de la captation. Enfin, l’option “rien sur les énergies fossiles” reste présente.
Il s’agit d’un texte “plus long, mais plus faible”, estime alors l’expert de la diplomatie climatique Ed King dans sa newsletter quotidienne, notant par ailleurs l’entrée en scène des “énergies de transition”. On peut en effet lire que le texte “reconnaît le rôle important que jouent les énergies de transition”, allusion au gaz pourtant fossile.
Un quatrième projet non contraignant
Malgré la pression des marches organisées dans le monde entier samedi appelant à sortir des énergies fossiles, le quatrième projet d’accord (PDF), publié lundi, se révèle plus faible encore. Les termes “phase out” et “phase down” sont rarement présents. Surtout, pour les propositions concernant la transition énergétique et donc les énergies fossiles, ils sont précédés d’un conditionnel peu coercitif (“could”, pourrait).
Parmi les solutions mises en avant, figurent “les énergies renouvelables, le nucléaire, les technologies d’atténuation et d’élimination, notamment le captage et le stockage du carbone, ainsi que la production d’hydrogène bas carbone”, et ce, dans le but de “renforcer les efforts vers un remplacement des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques”. Une phrase proposait également de “réduire” la consommation et la production de combustibles fossiles “de manière juste, ordonnée et équitable”.
Cette nouvelle version déçoit les ONG. Arnaud Gilles, du Fonds mondial pour la nature (WWF), parle d’une “liste de solutions plus fumeuses les unes que les autres et auxquelles est attaché tel ou tel pays”. Ce texte “est beaucoup moins ambitieux que ce qu’on a vu auparavant sur la table des négociateurs”, dénonce-t-il, décrivant un langage “très confus” mélangeant “des solutions réelles et bon marché à des solutions qui sont encore de l’ordre du fantasme technologique et qui coûtent très cher”. De son côté, Ed King décrit un texte “brouillon et déséquilibré” qui laisse “perplexe”.
Un compromis final qui entend “s’éloigner des énergies fossiles”
La version finale est adoptée mercredi 13 décembre au petit matin. Dans le 28e paragraphe, le document (PDF) précise que le monde doit “s’éloigner des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques”. S’attaquer à l’ensemble des combustibles fossiles, qui représentent environ trois quarts de toutes les émissions d’origine humaine, est “sans précédent dans ce processus”, a déclaré David Waskow, directeur de l’action internationale pour le climat au World Resources Institute, à l’AFP.
En choisissant le terme de “transitioning away” (“transitionner hors de”, “s’éloigner de”, “abandonner” selon les traductions possibles en français), le document ne parle plus clairement de “phase down” et “phase out” pour réclamer la sortie des énergies fossiles. Le premier terme reste employé pour le charbon non adossé à un dispositif de captation et de stockage. Le second n’est utilisé que pour demander la fin progressive des “subventions pour les énergies fossiles inefficaces qui ne concernent pas la pauvreté et la transition énergétique”, et ce, “aussi vite que possible”.
Une source proche de la présidence émiratie a expliqué à l’AFP que le texte avait été finement “calibré” pour éviter, notamment, un blocage de l’Arabie saoudite. Mais tout en laissant suffisamment d’ambiguïté dans les formulations pour que chacun y trouve son compte.
Dans l’accord, on retrouve des éléments mentionnés plus tôt, tels que la reconnaissance du rôle joué par des “énergies de transition” pour assurer la “sécurité énergétique” des pays en développement, là encore une concession faite aux producteurs de gaz fossile. Ou encore un appel à développer le balbutiant captage et stockage du carbone, défendu par les pays producteurs de pétrole, afin de pouvoir continuer à pomper des hydrocarbures.