Myriam El Khomri « Il m’arrive encore d’avoir le trac »
Myriam El Khomri paraît requinquée. Elle raconte à Gala son enfance. Et se confie sur la rentrée scolaire de ses filles ou la manière dont elle a traversé les récentes turbulences autour de sa loi Travail.
Après des semaines et des jours de tempête autour de sa loi travail, Myriam El Khomri a pris le large. Direction Les Pouilles, où elle a loué une maison avec son mari et quelques amis. « J’ai beaucoup nagé avec mes filles, s’amuse-t-elle en évoquant cette parenthèse. Avec l’aînée, Jasmine, nous avons fait du snorkeling et exploré une grotte dans la mer ! J’ai aussi veillé à ce que sa petite sœur Thelma n’ait plus peur de l’eau. » Revigorée par cette pause en famille, Myriam El Khomri aborde, sereine, son retour dans le bain politique. Les turbulences vives semblent oubliées. Pour rester zen, elle ne s’est pas pour autant convertie au yoga, mais envisage au contraire de se mettre… à la boxe. « Encore plus après les performances de nos sportifs aux JO ! », jure-t-elle brandissant d’un tiroir de son bureau les gants offerts par des jeunes du club Cergy rencontrés il y a un an. Cet été, l’un de ses amis de farniente avait eu la malicieuse idée d’apporter un punching-ball. Myriam El Khomri ne s’est pas fait prier pour s’en servir. Pas inutile avant les prévisibles coups de la rentrée.
Gala : Avez-vous réussi à faire un vrai break cet été ?
Myriam El Khomri : J’ai pu en effet profiter de mes filles, de mon homme et de mes amis. Au programme : plage, jeux de cartes et…bombes à eau. Mais je surveillais évidemment mon portable en permanence et faisais un point avec mon directeur de cabinet tous les deux jours…
Gala : La période de la rentrée des classes vous rend-elle nostalgique de votre enfance ?
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M. E. K. : J’adorais ce moment où l’on achète une tenue pour la rentrée et les fournitures scolaires. Cette année est particulièrement importante car ma fille cadette de trois ans entre en maternelle et ma fille aînée de six ans au CP. Elle avait hâte de découvrir l’école primaire. Elle est très appliquée et concentrée. Comme je l’étais à son âge !
Gala : Vous n’aviez pas le choix. Vous racontez que lorsque vous rameniez un 14 sur20 à vos parents, ça n’était pas assez…
M. E. K. : Mes frères doivent aussi s’en souvenir, c’était quelque chose la signature des bulletins ! Lorsqu’ils n’étaient pas satisfaits, mes parents n’en faisaient pas mystère. Ils pensaient que l’école était une chance qu’il ne fallait pas laisser passer. Ma mère était enseignante d’anglais et mon père, qui tenait deux magasins de reprographie, n’avait pas pu faire de longues études. Il aurait rêvé d’être prof d’histoire-géo.
Gala : Quel souvenir gardez-vous de votre départ de Tanger où vous aviez grandi et de votre arrivée en France à l’âge de neuf ans ?
M. E. K. : C’est surtout le froid qui m’a marqué, car nous avons débarqué à Thouars, petite ville des deux-Sèvres, en plein mois de novembre. On était bien loin de Tanger, cité cosmopolite et animée. Mais nous avons reçu un très bon accueil. Mon instituteur d’alors m’a écrit une très jolie lettre lorsque j’ai été nommée ministre en y joignant la photo de classe de l’époque.
Gala : Adolescente, vous vous rêviez comédienne plutôt que responsable politique ?
M. E. K. : J’étais une élève timide et pour m’aider à vaincre cette réserve naturelle mes parents ont eu la bonne idée de m’inscrire dans un cours de théâtre en cinquième. J’ai ensuite fait le conservatoire de Mérignac pendant quatre ans. J’adorais jouer les auteurs contemporains, notamment les textes assez crus, mais si beaux, de Philippe Minyana. J’ai tout de suite apprécié cette sensation de dépassement et cette capacité à vaincre sa peur. Cela m’a donné le courage de devenir déléguée de classe puis conseillère générale des jeunes de Gironde. Cette expérience me sert, encore aujourd’hui, dans ma vie politique. Il peut encore m’arriver d’avoir le trac avant de prendre la parole, mais j’ai appris à placer ma voix, respirer et improviser. Ce n’est pas rien de défendre une loi dans l’hémicycle. Un bon discours doit toujours dégager une profonde sincérité, surtout à une époque où la parole politique perd de son crédit.
Gala : Votre loi travail a été très controversée. Que ressent-on lorsqu’on voit son nom détourné et vilipendé sur des banderoles de contestation pendant de si longues semaines ?
M. E. K. : Ce serait mentir de dire que cela m’a laissée insensible. Je m’étais préparée aux attaques d’ordre politique. Le fait d’avoir un mari informaticien et des amis extérieurs à ce milieu m’a permis de faire preuve de recul. Ma famille m’est d’un grand soutien. Elle m’aide à m’extraire de ce qui s’apparente parfois à une forme de « cirque » politique. Mais j’avoue avoir eu peur pour mes filles lorsque les atteintes se sont faites plus personnelles. Quand des manifestants sont venus en bas de mon domicile à 7 heures du matin et ont réveillé tout le voisinage. Quand j’ai retrouvé l’inscription « sale Arabe » gravée sur ma boîte aux lettres. Ou quand je n’ai pas pu assister, pour des raisons de sécurité, à la fête de l’école de mon aînée. Lorsqu’il s’agit de mes filles, je réagis comme une lionne.
Gala : L’un de vos ex-collaborateurs, Pierre Jacquemain, publie un livre, Ils ont tué la gauche (Fayard), dans lequel il affirme que vous avez vendu votre âme au diable, que vous n’êtes plus de gauche. Que lui répondez-vous ?
M. E. K. : Je suis très attachée aux valeurs de loyauté et d’honnêteté intellectuelle, ce dont il semble manquer. Je salue cependant son sens du business ! La rentrée littéraire est prolifique en livres politiques : si tout cela crée de l’emploi dans le secteur de l’édition, la ministre du Travail que je suis sera comblée ! Mais sur le fond, je n’ai ni la réforme ni la gauche honteuses et je n’ai jamais renié mes convictions. Je reconnais des erreurs au lancement de cette loi, qui n’a ensuite eu de cesse d’être améliorée. Je suis fière des droits nouveaux qu’elle instaure, en particulier un droit universel à la formation pour tous nos concitoyens.
Gala : Sursautez-vous lorsque vous entendez le nom de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT ? A-t-il peuplé vos cauchemars ?
M. E. K. : J’ai heureusement un sommeil de plomb ! Nous allons nous retrouver dans les prochaines semaines pour aborder les négociations sur l’assurance chômage entre autres. En tant que ministre du dialogue social et femme de gauche, je suis très respectueuse des partenaires syndicaux. Mes gants de boxe resteront donc enfermés à double tour dans ce tiroir !
propos recueillis par candice nedelec
Crédits photos : CHAMUSSY/SIPA