Roman Polanski-Emmanuelle Seigner: un couple face au scandale

Le cinéaste a fondé une famille, cultivé un amour profond et durable. Mais son passé l’a rattrapé à Zurich. Une trajectoire cauchemardesque digne de ses propres films.

«Je ne parle pas à la presse», nous a répondu

d’une voix douce et polie. En vingt ans de mariage, elle a déjà tout dit sur Polanski, balayé toutes les rumeurs, défendu et assumé le passé de son mari. Dont cette sulfureuse affaire de détournement de mineure en 1977, brusquement ressurgie à l’aéroport de Zurich, le 26 septembre dernier, trente-deux ans après les faits. Pudiquement, elle déclarait dans nos colonnes, en 1998 : «Ce n’est pas une période de sa vie dont il a envie de parler. C’est son passé, ça lui appartient. Je ne suis pas le genre de femme qui va aller fouiner dans le passé de son mari.»

Militante, dans Paris Match, la même année : «Pour les Américains, toute relation avec une personne mineure est considérée comme un viol. Je ne lui en veux absolument pas de cet épisode de sa vie. La jeune fille était consentante et suffisamment mûre – les photos et les témoignages de l’affaire le prouvent – pour dire non.» Emmanuelle était tout juste majeure lorsqu’elle rencontra Roman au cours d’un dîner entre amis communs, en 1985.

A l’époque, pour ce mannequin, le cinéma ne représentait rien d’autre qu’un lien familial. Pour preuve, ce soir-là, elle confond Polanski avec le général Jaruzelski, surnommé le Pinochet polonais dans les années quatre-vingt. Elle n’a vu ni Le bal des vampires ni Chinatown. «Mais le courant passe bien», poursuit-elle. «J’étais gaie, innocente. C’est ce qui l’a séduit.»

Elle refuse de voir en lui un Pygmalion, loue son côté « superjeune », sauf pour son obsession du ménage («le seul truc de vieux qu’il a»). Et, en bonne instinctive, elle «pense que l’amour, c’est chimique, c’est une histoire d’odeur de peau», explique-t-elle. «Pour ne pas le décevoir», elle renonce au mannequinat, accepte de tourner Frantic, son nouveau film, avec

. «En guise de remerciement, je me suis comportée comme une gamine mal élevée sur le plateau.»

L’essentiel est ailleurs. Le cinéaste l’élève, dans tous les sens du terme. L’encourage à passer son bac en candidate libre, qu’elle décroche avec un 14 en philo. Couple forcément vicié par leurs trente-trois ans d’écart ? Rien qu’un faux-semblant, un cliché poujadiste dont ils se moquent avec délectation. Les faits leur donnent raison. Jusqu’à l’assassinat de sa seconde épouse, Sharon Tate, par la secte de Charles Manson en 1969, «Roman n’avait aucune relation d’amour. Des relations sexuelles, oui, mais pas amoureuses», explique-t-elle.

La naissance de Morgane, en 1993, sonne comme une minirévolution. Leur premier enfant, à chacun. Roman choisit son nom («il a connu beaucoup de femmes, mais pas de Morgane»). Emmanuelle tranchera pour le second, Elvis, en 1998. Elle se découvre « geisha », tisseuse de cocon, cordon-bleu. S’assagit : «Je remarque que ça va beaucoup mieux depuis que je ne lui tiens plus tête. » Le foyer se structure. « Les responsabilités quotidiennes, les enfants, la stabilité de la famille et de la maison, c’est moi qui les assume. » Sur le plan professionnel, le tournage de La Neuvième Porte scelle sa réconciliation avec Emmanuelle.

D’instinctive et insoumise, du temps de Frantic et de Lune de fiel, Emmanuelle se plie désormais à une discipline de fer. S’essaie à la chanson en compagnie du groupe Ultra Orange. Par ailleurs, Roman entrevoit l’espoir d’une réconciliation avec l’Amérique. En 2008, Wanted and Desired, un documentaire américain (qu’il n’a pas produit) consacré notamment à l’affaire Samantha Geimer le réhabilite presque. 2009 s’annonce donc sous les meilleurs auspices. Dans son nouvel album, Dingue, Emmanuelle invite Roman à chanter un duo – Qui êtes-vous ? – où le couple singe son image scandaleuse. Elle en nymphette traquée, lui en satyre gainsbourien assoiffé de chair fraîche. Prévu pour le 2 novembre, l’album est officiellement repoussé au 25 janvier 2010. Officieusement, aux calendes grecques, histoire de ne pas rajouter du scandale au scandale.

«J’ai eu la chance d’avoir une vie très douce, reconnaissait Emmanuelle dans DS en 1999. Je n’ai jamais eu de chagrin d’amour ni de gande tristesse (…) Il y a des gens qui en prennent plein la gueule. Moi, je me dis qu’un jour je paierai la facture.» Ce 26 septembre 2009, dans sa geôle zurichoise, Roman replonge trente-deux ans en arrière. Dehors, l’heure est à la mobilisation générale. Le monde du cinéma, rejoint par BHL, signe des pétitions en cascade. Restée à Paris, dans leur appartement avenue Montaigne, Emmanuelle file à Zurich. Il déjeune avec ses codétenus, reçoit 3 euros par jour de l’administration pénitentiaire. Choqué, il reste combatif. « Ne te fais pas de soucis, j’en ai vu d’autres », lui dit-il. Règlement oblige, ils ne peuvent se voir qu’une heure par semaine. Elle y renonce.

Trop de paparazzis à Zurich, mieux vaut se terrer à Paris, lui parler au téléphone. Morgane et Elvis sont pris en charge par les grands-parents Seigner. Ils se privent de lycée, pour cause d’ostracisme généralisé. A l’extérieur, comme sur Internet, l’action des cinéastes a très rapidement provoqué la vindicte populaire, qui réclame la même justice pour tous. La solidarité fait place à un embarras profond, mutique. Reste un noyau d’irréductibles, qui réconforte encore et toujours Emmanuelle. Son groupe Ultra Orange, la cinéaste

, le producteur Alain Sarde (Le pianiste, Oliver Twist…), Jérôme Seydoux, patron de Pathé.

Nouveau coup dur : la demande de liberté surveillée a été rejetée. Emmanuelle rêvait encore d’un nouveau grand rôle que lui écrirait Roman, à l’image d’une Mia Farrow dans Rosemary’s Baby ou d’une Catherine Deneuve dans Répulsion. Plus paranoïaque encore que les fictions de son mari, le réel s’en est chargé.

Guillaume Loison

Article paru dans Gala, octobre 2009

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