César: Chapeau Prophète!

Un Prophète en son pays. Sacré sur La Croisette et en route pour l’Oscar, le film de Jacques Audiard a triomphé aux César.

Avec 13 nominations, le présage était bon. Mais le récit de l’ascension d’un jeune Beur en prison, un opus-choc signé Jacques Audiard, a été littéralement consacré samedi soir.
Ce drame carcéral a été le grand vainqueur de la 35e cérémonie des Césars, avec neuf trophées dont celui du meilleur film français 2010.

Oracle aussi modeste que touchant, son interprète Tahar Rahim, 28 ans, a réussi un doublé historique en décrochant le titre de Meilleur Acteur et celui du Meilleur Espoir Masculin.

«Fier», «heureux», mais aussi déconcerté par une telle reconnaissance des gens du métier alors qu’il affrontait des figures confirmées du 7e Art comme

,

et

, le comédien s’en est remis à son mentor.«Je ne te remercierai jamais assez, Jacques, de m’avoir invité à bord, de m’avoir mis en première classe. Ces deux années passées à tes côtés resteront à jamais gravées là, donc merci!», a-t-il déclaré, ému.

Ce film noir haletant le suit sous les traits de Malik El Djebena. Matricule 35114T, Malik vient d’arriver en centrale. Sa première fois en taule. C’est une petite frappe. Il a l’air plus fragile et nerveux que les autres prisonniers. Il a 19 ans. Il ne connaît personne. Il ne sait ni lire ni écrire. Condamné à six ans de détention, il va tenter de survivre à travers ses quatre murs de béton, son lit en fer, sa fenêtre minuscule et son lavabo crado.

Analphabète mais intuitif, Malik va très vite apprendre à sauver sa peau. Sans famille, ce truand en herbe est une page vierge sur laquelle vont s’inscrire les codes brutaux de la captivité. En deux heures et demie, cette petite frappe pactise avec le diable, devient le larbin d’un parrain corse, un «prophète», une fascinante crapule qui capte l’attention.

César du Meilleur Acteur dans un Second Rôle, le charismatique et bougon Niels Arestrup a tenu à saluer le talent de son jeune partenaire. «Conscient du privilège» d’avoir tourné deux films avec Jacques Audiard, l’acteur d’origine danoise a remercié le cinéaste «pour tout ce sang neuf qu’il propose dans le cinéma français». «C’est important et réjouissant», s’est-il exclamé, de glace. Car Niels, que les jurés ont préféré au rappeur Joey Starr en lice pour le Bal des Actrices, reste sceptique face aux accessits. Comme il l’a répété aux journalistes, «être artiste est incompatible avec le fait d’être évalué et mesuré aux autres». Et l’homme à la chevelure immaculée de savourer avec circonspection voire amertume ce «bon point» décerné par l’Académie.

Plus sensible aux «preuves d’amour du cinéma français», Jacques Audiard ne s’est pourtant pas délecté avec effusion de son succès. «Je remercie mes acteurs chéris», a-t-il dit, avant de rendre hommage aux «nombreux anciens prisonniers qui jouent des rôles de figuration et qui l’ont aidé à recréer une atmosphère pénitentiaire réaliste».

Puis le réalisateur d’Un Héros Très Discret a fait de la scène du théâtre du Châtelet une tribune politique: «Il y a des gens qui demandent juste un titre de séjour (…) ce serait bien que les pouvoirs les regardent mieux et acceptent de recevoir le collectif des cinéastes pour les sans-papiers», a-t-il lancé à l’adresse notamment du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, assis dans la salle.

Sanctifié sans surprise, Un Prophète partait largement favori, quatre ans après le précédent triomphe d’Audiard aux César 2006 où son film De Battre mon Coeur s’est Arrêté avec Romain Duris avait raflé huit trophées , dont celles de meilleur film et du meilleur réalisateur. Avec 1,2 million de spectateurs dans les salles où il est sorti fin août, Un Prophète a déjà remporté un vrai succès tant public que critique, accumulant les récompenses: Lauréat du Grand Prix au dernier Festival de Cannes, Prix Louis-Delluc («Goncourt du cinéma») en 2009, ou encore meilleur film au Festival de Londres.

Polar d’exception primé hier aussi pour son scénario, sa photo, son montage et ses décors, Un Prophète, coup de poing tout en grâce, est en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger qui sera décerné le 7 mars prochain à Hollywood. Chose prédite, chose due?

Retrouvez notre dossier spécial César 2010

J.B

Dimanche 28 février 2010

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